En 2018, le CNAS a interrogé les recompositions territoriales. (Photo : N. Dohr)

« Big bang » territorial : laisser la main aux acteurs locaux

Mardi 23 avril 2019

 Dans un contexte de réformes et de contraintes budgétaires, les collectivités doivent se réorganiser. Quatre experts ont croisé leur regard sur ces recompositions lors de la table ronde du congrès du CNAS, le 7 juin à Nancy. Avec, en filigrane, un point de convergence : faire davantage confiance aux acteurs territoriaux.

« On n’échappe pas à son histoire. La France est un pays très centralisé où le poids de l’État, qui a créé la nation, reste majeur ». La géopolitologue Béatrice Giblin dresse le portrait d’un pays marqué par son double héritage — royal et révolutionnaire — où l’attachement des Français à l’égalité ainsi qu’à l’unité (« un roi, une religion, une langue ») reste fort et occasionne de nombreuses résistances aux transformations des territoires et des services publics. « La France ne sait pas penser la diversité et n’est pas à l’aise avec les réorganisations territoriales » poursuit l’universitaire, quand les Allemands n’ont pas remis en cause le découpage administratif de leur pays par les Alliés, après 1945, en régions et villes-État (Länder) pouvant atteindre 14 millions d’habitants.


« Parler de territoires masque leurs vrais acteurs : élus, citoyens… Le territoire n’a aucun désir ; il devient ce que ses acteurs décident d’en faire » Béatrice Giblin

« En matière de compétences, il faut être pragmatique : que fait-on mieux ensemble que tout seul ? À Vesoul, l’urbanisme est géré au niveau intercommunal depuis 40 ans, et ça marche ! » Alain Chrétien

« Le préfet, garant de l’égalité territoriale »

Maire de Vesoul dont il préside également l’agglomération1, Alain Chrétien appelle à « une pause dans les réformes pour enfin trouver un consensus sur l’organisation territoriale de la République » et fustige un « État qui n’a pas fait son aggiornamento des temps modernes ; les citoyens et les élus locaux ont désormais des projets qui s’opposent parfois aux siens. » Défenseur du « pragmatisme local », l’élu de Haute-Saône souhaite que le préfet retrouve son rôle de chef d'orchestre de l'administration de l'État sur son territoire : « ll est le garant de l’égalité territoriale en qui les élus ont le plus confiance. Il faut créer un nouveau contrat entre préfets et élus. »

Clarifier la responsabilité employeur dans les collectivités

Christian Olivérès, ex-directeur de grandes collectivités et du CNFPT, fait aussi le constat d’un « mécano institutionnel qui ne s’est pas renouvelé, qui remet en cause l’efficacité de l’action publique et pose un vrai problème démocratique.» Il plaide pour une clarification de la responsabilité employeur au sein des collectivités en instaurant « une sorte de conseil politique d’orientation et de surveillance qui permettrait à la direction générale d’être responsable de ses actes de gestion quotidienne, et aux élus de se concentrer sur la politique, les projets et la régulation sociétale. »


« L’effet de souffle de la numérisation va remettre en cause de nombreux métiers dans les grandes collectivités, alors que les services à la personne représenteront un trésor de possibilités d’emplois. » Christian Olivérès

« L’environnement territorial essaie de s’adapter à la vie des gens qui s’est complexifiée : mobilités, familles recomposées...» Jean-Charles de Belly

 

Investir dans la « matière grise » en zone rurale

Des propos qu’appuie Jean-Charles de Belly, DGS de Mad et Moselle2, une intercommunalité située entre Moselle et Meurthe-et-Moselle : « Manager est notre métier à 100 % et notre responsabilité. » S’il défend la réforme actuelle, « qui permet d’adapter des législations au contexte local et conforte le droit à l’expérimentation locale », ainsi que le rôle moteur de l’État (dotations maintenues durant la crise financière de 2008, obligation de périmètres pertinents d’intercommunalités…), il souhaite aussi une réelle péréquation entre les territoires, lesquels sont mis en concurrence par le biais d’appels à projet : « Elle doit permettre d’investir dans la “ matière grise ” pour monter de bons projets et maintenir l’attractivité du milieu rural » observe-t-il. Pour l'heure, sa collectivité travaille à la création d’une administration locale unique : « En devenant le seul employeur des agents de son périmètre, la communauté de communes aura ainsi les compétences, l’ingénierie et les moyens pour le management, la gestion de carrière et l’action sociale de ses agents. »

David QUAILLET

1 L'agglomération de Vesoul compte 20 communes et 34 000 habitants
2 La communauté de communes Mad et Moselle compte 49 communes et 20 000 habitants